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Courir mes rêves : Journal de bord d'une débutante en course à pied
5 juin 2012

Marathon d'Edimbourg - 27 mai 2012

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En Ecosse, le jour est toujours aussi impatient de se lever. Il est à peine 4h40 du matin et déjà la lumière envahit notre chambre malgré les rideaux que j'ai pris la peine de bien fermer. Nous sommes dimanche 27 mai 2012, aujourd'hui j'ai 45 ans et je vais courir mon premier marathon. 

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La veille, Denis et moi avions préparé méticuleusement toutes nos affaires. Il y en a tant ! A regarder cette impressionnante pile d'accessoires indispensables ou rassurants, je me demande si je ne devrai pas prendre une valise plutôt qu'une ceinture ventrale !

Silencieusement, pour ne pas réveiller Denis, je m'offre une douche matinale. L'eau coule en douceur. Je souris en réalisant que la prochaine fois que je m'abandonnerai à cette délicieuse sensation, j'aurai 42,195 km dans les jambes et dans la tête. Toutes mes lectures me l'ont répété, un marathon c'est 50% d'entrainement et 50% de force mentale.

Depuis le mois de janvier, soit 21 semaines plus tôt, je me suis entraînée à raison de 3 ou 4 sorties par semaine. En compagnie de M'dame la pluie, avec mon copain le soleil, parfois sous les caprices du froid polaire, mes baskets et moi avons avalé une quantité phénoménale de kilomètres. Mes entraînements occupaient une place primordiale dans mon agenda déjà surchargé par ma vie familiale et professionnelle.

Je sais que ce jour qui se lève n'est pas un jour ordinaire. L'impatience mêlée d'excitation me rappelle mon mariage. Ce goût si unique et frissonnant de toucher enfin mon rêve, de vivre chaque geste comme un conte de fée. J'ai pleinement conscience d'avoir un sacré rendez-vous avec moi-même. C'est l'inconnu que je vais épouser le temps d'une course ! J'ignore comment la rêveuse séduira la coureuse, sauront-elles s'unir afin de s'entendre ? Partageront-elles toujours cette ambition de ne faire qu'un pour courir dans la même direction ?

Mes pieds seront les premiers à être chouchoutés. Délicatement, je les tartine d'une crème-anti-frottement. Mes chaussettes viennent sceller ce pacte qui devrait limiter les risques d'ampoules. Devant moi, trois shorts me font les yeux doux. Lequel choisir ? Mon coeur balance ! Bien que je les ai déjà tous testé lors de mes entraînements, je cherche à me rassurer. Le confort doit primer, pas question d'être trop serrée ou d'être enfermée dans un textile trop chaud. Enfin, j'enfile mon t.shirt rouge avec sa croix suisse. C'est à cet instant qu'une vague de frissons de bonheur se répand jusque dans mes veines. 

Denis s'est levé. Tout aussi concentré que je l'étais l'instant précédent, il quitte son personnage pour se muer en marathonien. J'aime le voir choisir ses vêtements et me rejoindre dans le rôle qui nous attend. Nous ne parlons pas, la concentration est palpable. Je rencontre alors mon reflet dans le miroir et je me sens prête, sensation fabuleuse de confiance et de sérénité. Le chapitre des entraînements est écrit depuis longtemps, la plume est impatiente de relater la suite de l'aventure. Cette transition entre le « avant » et le « maintenant » est intense, je réalise combien je suis entre 2 mondes.

Nous prenons notre petit déjeuner avec un Gatosport que j'ai cuit avant notre départ et un thé. Ce repas très digeste avant une épreuve est riche en puissance énergétique. Il m'avait particulièrement bien convenu avant mon semi-marathon d'Annecy. L'heure de quitter notre Bed and Breakfast a sonné !

Rapide retour dans la chambre pour nous équiper de notre ceinture ventrale chargée en gels antioxydants et énergétiques. Ma précieuse montre GPS rejoint mon poignet, ma casquette sera une invitée privilégiée en raison de la température qui ne cesse de grimper et enfin, je confie mes pieds à leurs baskets. Le contrat est signé ! 

Dans le bus qui nous conduit au centre-ville, il n'y a plus de kilt ou d'enfants souriants sur les genoux de leurs mamans ! C'est un véritable convoi de sportifs qui s'apprête à déverser son flot de coureurs dans les rues d'Edimbourg. A chaque arrêt, le bus collectionne ses marathoniens. L'image d'une multitude de fourmis regagnant la fourmilière géante me vient à l'esprit !

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Notre ami Patrick nous attend à Princes Street. Son t.shirt rouge avec sa croix suisse nous fait un clin d'oeil. Nous sommes tellement fiers et heureux de vivre ce défi ensemble. Quelques photos capturent nos émotions et plus que jamais, je sais que j'aime chaque instant de cette matinée. Denis nous quitte rapidement pour se placer sur la ligne de départ, à London Road, lieu de départ pour la catégorie élite. Patrick et moi avançons tranquillement dans Regent Road. Il y a un monde fou ! 

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Soudain, nous retrouvons Loic qui, la veille, avait organisé pour nous une pasta-party avec ses amis écossais. Pour lui, la distance du marathon est aussi une découverte mêlée d'appréhension et d'impatience. Nous échangeons quelques mots et nous nous souhaitons une belle course.

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Patrick remonte le flot de coureurs pour rejoindre le SAS de départ correspondant au temps final estimé de sa course. Je me place avec les dossards couleur gold. Le baskets qui m'entourent visent un temps compris entre 4h40 et 5h14. C'est là que mes rêves m'ont poussée ! En effet, mon plan d'entraînement devrait me permettre de franchir la ligne d'arrivée en 5 heures. Pour y arriver, je sais également que je dois courir chaque kilomètre en 7 minutes. La théorie est imprimée dans mon esprit, reste à voir si j'arriverai à l'appliquer. 

Fabuleuse rencontre ! J'ai devant moi Dany (La Tortue sur CAF) qui va s'élancer sur son 74 ème marathon en 10 ans. Elle est un phénomène incroyable, la preuve irréfutable qu'un marathon est possible ! Nous avons fait connaissance sur un forum de course à pied. Ses écrits m'ont toujours fasciné et je me suis souvent nourrie de ses mots. Dans les contes de fées, il y a... des fées ! Dany est l'une d'entre elle. Son plaisir infini de courir m'envahit et me contamine. Elle me présente sa fille Virginie qui, comme moi fête son anniversaire aujourd'hui, et va courir son premier marathon. Thomas, le gendre de Dany, va également s'offrir le frisson d'une première participation sur cette distance mythique.

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Ca y est... ! La foule de coureurs se met en mouvement. On commence à marcher puis à trottiner vers l'arche de départ. Je regarde cette porte bleue qui s'ouvre comme par magie devant mes pas. Mon pied franchit le tapis du chronométrage et ma montre crie son premier bip. Je cours ! La route descend dès les premiers mètres et j'ai l'impression de m'envoler. Ma tête est droite et mes yeux avalent une multitude d'images qui défilent comme dans un film. Les cris des supporters me portent, des bras s'agitent et nous saluent. Pas besoin de traduction, la joie est internationale.

Comme un serpent qui se tortille, nous nous laissons emporter par les ruelles qui tournent entre les bâtiments. Ivresse absolue à chaque foulée. Il fait chaud, même très chaud. J'en ai conscience mais je l'oublie aussitôt pour profiter encore et toujours de l'instant présent. J'ai peur que cette magie ne s'évapore trop vite, qu'elle ne soit qu'éphémère pour céder sa place au compteur des longs et interminables kilomètres qui m'attendent. 

Véritable poumon d'oxygène et de verdure, nous passons à côté de Holyrood Park avec le mont Arthur's Seat qui surplombe Edimbourg. La file indienne de coureurs multicolores dessine un joyeux tapis. Autour de moi, il n'y a que des visages souriants et des envolées de cris de joies en réponse aux encouragements des spectateurs. Je respire chaque émotion, j'imprime chaque image, je plane complètement alors que mes jambes déroulent tranquillement leurs foulées depuis 2 kilomètres.

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Je surveille du coin de l'oeil ma montre. La seule consigne que j'ai est simple et précise, ne pas partir trop vite. C'est tellement plus facile de l'écrire que de le faire ! Tout le monde file devant et moi, je me freine comme jamais. Perplexe, je regarde mes voisins de foulées s'éloigner, m'abandonnant à mon petit rythme. Tout le monde m'a promis que je le dépasserai plus tard ! J'essaie d'y croire mais je ne suis pas facile à convaincre. 

Mon écran m'informe que j'ai couru le premier kilomètre en 06:18 et le 2ème kilomètre en 06:49. C'est toujours trop vite ! Je dois encore ralentir... je n'y arrive pas. Mon cerveau s'emballe un peu. Le secret de l'endurance sur un marathon réside dans cette théorie de l'allure à mettre absolument en pratique pour économiser mes réserves en glycogène. Ben justement, il y a comme un fossé entre le savoir et être capable de l'appliquer. Je prends alors la décision de me débarrasser de cette pression que je m'inflige et qui dépose une ombre dans mon horizon. 

Soudain, j'aperçois sur ma gauche une série de cabines bleues en plastique. Ce sont des toilettes publiques pour les coureurs. Incroyable... il y a des participantes très disciplinées qui font la queue pour se soulager. Je n'ai jamais vu cela ! D'ordinaire, sur une course, ce sont les buissons et petits murets qui nous servent de paravent. Jamais il ne me viendrait à l'idée de m'arrêter et de patienter derrière ces dames ! Je viens de franchir le 5ème kilomètre et j'arrive au premier poste de ravitaillement. Je décide de ne prendre que de l'eau. Je bois comme si ma vie en dépendait !

Il y a à nouveau du monde sur les trottoirs pour nous encourager et c'est là que j'entends une voix qui crie mon prénom ! Pas d'erreur, ces encouragements sont bien pour moi ! Je reconnais Fiona, Murdo et Mike avec qui nous avons mangé la veille au restaurant. Leurs sourires et leurs chaleureux applaudissements me vont droit au coeur. C'est dingue, voilà que je m'enflamme et mes jambes accélèrent au rythme de leur enthousiasme. Doucement ma jolie, tu as encore le temps pour lâcher les rênes. Lors d'une course, les encouragements sont un véritable carburant ! Une dose condensée d'adrénaline avec un effet immédiat sur le mental. C'est à peine si j'ai le temps de les remercier avec un éclat de rire spontané que déjà je suis loin.

Le 7ème kilomètre s'ouvre sur un décor magnifique avec une large plage à marée basse sur ma gauche. La mer.... espace de liberté et d'infini. Vaste étendue d'eau qui m'emporte instantanément dans mes souvenirs de vacances en famille. Que c'est beau ! Notre parcours se poursuit avec ce paysage féérique où je me prends à rêver. Je m'imagine confortablement installée dans un transat à regarder les petites vagues s'échouer sur mes pieds. Mes jambes courent toujours avec aisance mais mon esprit s'est échappé de mon corps. Lorsque je réalise combien je m'amuse de mes pensées qui vagabondent au gré des images devant mon regard, je prends complètement confiance dans ma course. Je me sens bien, je cours sans difficulté, je suis à la fois dans la course et hors du temps. 

Après le 2ème poste de ravitaillement où je prends mon premier gel avec un peu d'eau, j'aperçois Portobello. Nous passons le 10ème kilomètre et tout va bien. Plus loin, j'entends des tambours qui martèlent un rythme chaud et entraînant. C'est génial ! Je les avais déjà entendus lorsque je visionnais chez moi la vidéo du marathon de 2010. Je ne sais plus si je cours en direct ou si je suis entrée dans la vidéo ! Qu'importe, c'est toujours cette vague magique qui m'anime. Je suis euphorique, dans une dimension de bonheur et d'ivresse. 

Tiens, il y a mon bas-ventre qui essaie de me dire quelque chose. Il pèse, il appuie, il insiste. Ah non... pas ça ! J'ai comme un besoin pressant d'une pause-pipi. S'hydrater c'est bien mais noyer ma vessie n'était peut-être pas indispensable. Pas le choix, il me faut vite trouver un petit coin discret et bien sûr, il n'y en a pas ! Je continue alors que mon besoin se fait douloureux. J'opte pour les toilettes publiques de la plage en priant pour qu'elles soient libres. Je me heurte à 4 portes closes. Cruelle réalité ! Heureusement, ces dames sont aussi pressées que moi de courir et c'est à peine si mon arrêt aura grignoté 40 secondes sur mon chrono. Petit luxe que je n'ai pas regretté !

Il est temps de faire le point sur ma course. Après 11 kilomètres de course, je constate que je mets entre 06:25 et 06:49 au kilomètre. C'est toujours trop rapide et j'ai de l'avance sur mon objectif. Le risque principal est que je m'épuise trop tôt. Je sais que tôt ou tard, je vais le payer. Inutile de paniquer, je sais aussi que je déroule moins vite que lors de mes deux précédents semi-marathons et je m'accroche à ce constat. La course est trop belle pour se prendre la tête ! 

15ème kilomètre, nous arrivons maintenant à Musselburgh. Il y a de nombreuses maisons avec des petits jardins débouchant sur notre parcours. Les habitants nous offre une fine pluie pour nous rafraîchir. En effet, conscients des 22° qui pèsent sur nos pas, ils ont sortis leurs tuyaux d'arrosage et nous déversent de précieuses secondes de fraîcheur. Je lance des « thank you » à la volée !

Je ne suis plus certaine du kilométrage, peut-être 17 ou 18. Une voix en français me crie « Allez Nicole, vas-y c'est super ! ». C'est Tracy ! Son sourire est rayonnant, son visage est animé d'un enthousiasme contagieux et le son de sa voix me sort de l'isolement dans lequel j'étais plongée l'instant précédent. Soudain, elle chante à tue-tête un « Joyeux anniversaire »  toujours en français ! Des larmes de joie se mêlent aux frissons d'émotion qui parcourent mes bras. J'ai chaud, j'ai froid, je rie, je pleure, je cours, j'y crois !

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Les coureurs qui m'entourent s'attarde sur cette grande fille et son t.shirt suisse : « It's your birthday ? » Timidement, je leur répond spar l'affirmative. Alors là, c'est carrément une vague de voeux d'anniversaire qui me sont distribués ! Je suis submergée par cette ambiance à laquelle je ne m'attendais pas. Pour le moment, mon marathon est un cadeau que je savoure, pas à pas. Je fais des réserves d'images positives, je stocke tout ce qui est bon, je nourris mon esprit.

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Tous les récits de marathon que j'ai lu me parlaient de douleurs, de mental et de solitude. Je sais que ce rendez-vous sera incontournable. Pourtant, je ne l'appréhende plus. Comme une guerrière, j'accepte de passer par ce baptême pour décrocher ma médaille de marathonienne.

Dans mon coeur, il y a ma famille, mes amis, mes collègues qui m'ont encouragée. Je me dois de réussir. Tous mes entraînements affinés avec ma persévérance m'ont conduit jusqu'ici. Il y a aussi un projet qui me donne des ailes. Ma course est associée à Help-For-Hope qui récolte des dons pour des enfants au Cambodge. Mes jambes courent pour eux ! C'est un dopant d'amour qui ne se mesure pas mais qui diffuse une énergie phénoménale.

Ca y est... je passe le kilomètre 21. Le semi-marathon est derrière moi, j'en ai un autre à courir devant moi. C'est un peu comme un poste frontière entre deux pays. Une terre inconnue m'attend. J'ignore ce qui se passera. Pour marquer symboliquement ce passage, je prononce à haute voix ces paroles : « C'est maintenant que le marathon commence ». Verbaliser ainsi cette étape, c'est aussi affirmer que je suis prête. Je ne lâcherai rien.

A chaque poste de ravitaillement, je prends un gel anti-oxydant ou énergétique et je bois de l'eau. Les kilomètres s'enchainent les uns aux autres. Ma vitesse est légèrement réduite. Je cours en 06:58 le kilomètre. Rien d'inquiétant, je suis toujours dans les temps pour mon objectif de terminer en 5 heures. 

25ème kilomètre, ça devient plus chaud. Moins de spectateurs aussi. Petit coup de vide, c'est long... un marathon . Je veux absolument tenir jusqu'au 28ème kilomètre parce que c'est là que ma route fera un demi-tour. Avant le départ, j'avais étudié le parcours sur une carte. Je me répétais inlassablement que ce 28ème kilomètre serait déjà une victoire, que je n'aurai pas le droit de me plaindre ou de me décourager avant de le franchir. Je cours la tête vide, je ne pense plus beaucoup.

Nous sommes sur la voie de circulation de gauche et c'est une succession de faux-plats qui m'attendent. Je n'aime pas ce passage. Il est long et monotone. Je cours machinalement mais je m'ennuie de plus en plus. Sur ma droite, il y a des coureurs en contre-sens. Eux... ils ont déjà atteint depuis longtemps ce 28ème kilomètre. Ils sont sur le chemin du retour. Je les envie, ils sont rapides. Eux... ils sont en descente alors que je ne cesse de souffrir en montée. Je voudrai être « eux » mais je suis « moi ». Soudain, un visage, une croix suisse court dans ma direction, c'est Denis ! Il arrive comme un baume sur le coeur, une caresse furtive dans mes pensées qui se dispersent. Mes yeux sourient mais les larmes ne sont pas loin. Son visage est bien marqué, il a les traits vraiment tendus. Consciente que nous n'avons qu'une demi-seconde à partager, je lui demande si ça va. Il me répond oui et aussitôt il m'encourage ! 

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Cette rencontre inattendue est rapide, forte, intense et douloureuse. Comme un rêve, il n'a fait que passer et je retrouve ma solitude. Quelle étrange sensation d'être entourée de milliers de coureurs et de me sentir aussi seule. J'écoute le bruit des baskets qui tapent le sol, mélodie accompagnée de respirations régulières ou essoufflées. On dirait une procession, la communion de fidèles tous habités par un unique objectif : franchir la ligne d'arrivée. Cette fois, je ne pense plus à rien, ma tête est complètement vide. Mon cerveau est en mode économique. Les jambes ont compris qu'elles devront prendre le relai pour porter mes rêves. Je veux juste atteindre ce maudit 28ème kilomètre. 

J'y suis ! Quoi... c'est juste un cone orange et blanc, posé sur la route et autour duquel je dois tourner pour enfin prendre le chemin du retour ? La déception est indescriptible ! Il y a quelque chose de fou qui se passe dans ma tête. Je réalise que je viens de courir 28 kilomètres pour tourner autour d'un morceau de plastique !!! Q'importe l'objet, ce demi-tour sur place est semblable à une épreuve franchie me permettant d'accéder au chapitre suivant. Je savoure cet instant et je m'accroche. Le plus difficile est à venir et je veux réussir.

Nous quittons la route pour un détour dans un parc. Les grands arbres apportent enfin un peu de fraîcheur. Je regrette le petit vent que nous avions en bord de mer. Il fait terriblement chaud et de plus en plus de coureurs marchent. J'ai envie de faire comme eux, juste un peu, pas longtemps, histoire de prendre une pause, de faire un break. Cela fait 3h30 que je cours, c'est fou ! Mes jambes courent toujours mais j'ai le sentiment de ne pas avancer.

Ma montre m'annonce que j'atteins le 30ème kilomètre. Instinctivement, mes pensées sont pour Nathalie. Elle a couru son premier marathon à Paris, au mois d'avril dernier. Je lui avais alors demandé de me donner quelques repères pour aborder au mieux mon défi. Et là, je l'entends me murmurer : « Si tu dois marcher, fais-le avant le 30ème kilomètre, jamais après, cela fait trop mal ! ». Si j'écoute sa mise en garde, je ne dois pas marcher, ni maintenant, ni après ! Quelle horreur, il me reste encore tant de kilomètres. Les autres marchent autour de moi alors que j'ai cette petite voix de Nathalie qui me hante l'esprit. Tiens-bon, résiste, ne flanche pas, c'est juste un sale moment.

J'ai compris... c'est le Mur, le cauchemar de tous les marathoniens ! Je ne connaissais que la théorie de son existence, ennemi invisible contre lequel je vais me battre. C'est l'épuisement de mes réserves de glycogène. Mon corps va devoir chercher un autre carburant et puiser dans les lipides, nettement moins performants. C'est un peu comme pédaler dans le vide ! Je cours mais je n'avance pas. Je fournis un effort démesuré mais le résultat est minime. J'ai le sentiments d'avoir les jambes coupées et relancer la machine me semble impossible... Pourtant, je cours toujours.

Il me reste 12 kilomètres, je décide de les prendre comme un compte à rebours. Qu'est-ce que 12 kilomètres ? Pas grand-chose, non ? Enfin, je réalise que c'est quand même encore 1h30 de course. Ah non... trop, c'est trop. Je ne peux pas, je n'en peux plus. Là, j'entends Denis qui m'avait avertie : « Tu verras, on n'en peux plus et puis ça va revenir ». Tu crois ? Tu me le promets ?

Je me sens lourde, envahie de pensées douloureuses, les minutes ne veulent plus rien dire. Je perds la notion du temps et de la distance. Je cours mais je ne sais plus pourquoi. Heureusement qu'il suffit de suivre les autres, je serai incapable de dire où je suis. Quand je lève mes yeux du chemin, c'est pour rencontrer des coureurs qui ont abandonné. Ils marchent, ils discutent entre eux. Certains sont au téléphone. C'est irréel. Je suis plus seule que jamais. Je reconnais des t.sihrt qui étaient avec moi, sur la ligne de départ. Ils avaient filé comme des flèches, enflammés par l'euphorie du coup d'envoi. Alors c'est bien vrai, je les dépasse, un à un. Je remonte le courant mais à quel prix ?

32 ème kilomètre, je me sens un peu mieux. Je ne lâcherai pas ! Je ne suis pas venue pour marcher ! J'ai la rage aux tripes et je m'accroche. La ligne d'arrivée est au bout de l'horizon. Je le sais et elle ne peut pas s'enfuir. Chaque pas me rapproche d'elle. Je le sens intensément. 

Aie... j'ai mal. Une lancée violente et soudaine dans le ventre me fait grimacer, semblable à un coup de poignard. Je ne comprends pas ce qui m'arrive. J'ai peur, j'ai mal, j'ai très mal. Denis m'avait prévenue avec ces mots : « Une douleur, ça passe, cela ne reste pas ! ». Ok, message compris. Elle ne va pas rester. Elle fait sacrément mal mais elle ne va pas rester. Pendant combien de temps me suis-je répéter ce leitmotiv pour garder le cap ? Je l'ignore mais c'était long. Mon cerveau s'est verrouillé sur cette affirmation. Comme un disque qui passe en boucle, je me suis répétée cette phrase à l'infini. La douleur est partie et j'ai gagné la bataille ! 

« Nicole ! Tout va bien ? Tu veux un gel ? Tu veux de l'eau ? ». C'est Tracyyyyyyy ! Mon petit ange vêtu de son casque de cycliste et de son maillot violet s'agite au bord de la route ! Quelle bouffée d'oxygène que ses paroles qui brisent mon enfermement et me ramènent à la vie. Je reçois sa présence comme un fortifiant, comme une voix qui me rappelle que je suis venue chercher mon premier marathon, la récompense à tous mes entraînements. A nouveau, je ris, je pleure, je souffre mais je suis vivante. Incroyablement vivante et je cours toujours ! 

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Entre le 32 ème et le 35ème kilomètre, c'est le vide. Aucun souvenir. Je cours mais je ne pense plus. Mon âme a dû m'abandonner. Je cours comme un robot. D'ailleurs, est-ce réellement moi qui cours encore ? Un trou blanc, un espace-temps inexistant, une pause de l'esprit, le vide... Voilà une expérience qui ne ressemble à aucune autre, un voyage dans une dimension inconnue. Cela pourrait presque être déstabilisant mais comme je garde mes forces pour courir, je ne réalise même pas ce qui m'arrive.

Je me souviens avoir pensé à mon ipod, éteint depuis le départ. De la musique ? Non, l'envie n'y est pas, le coeur non plus. L'effort de sortir l'ipod de ma poche, de l'allumer, de régler le volume m'apparait comme des gestes insurmontables. Penser devient douloureux, je préfère le silence. C'est long, c'est si long. Le temps s'est arrêté, c'est sûrement ça.

Au 35 ème kilomètre, j'atteins l'avant dernier poste de ravitaillement. Il brille comme un phare dans la tempête qui agite mon cerveau. Je m'accroche au bonheur de boire et pour la première fois, je m'offre le plaisir de marcher pour avaler mon gel et m'hydrater. A peine 20 à 30 secondes de marche, juste pour casser le rythme. Je repars aussitôt en courant tant j'ai peur de craquer... Ce ne sont plus mes jambes qui courent, c'est ma tête ! 

Le 37ème kilomètre m'envoie une décharge. Je prends conscience qu'il ne reste que 5 petits kilomètres. C'est à la fois peu et énorme ! Distance minimum pour un effort maximum. Mon regard ne cesse de chercher ma montre, la réponse est désolante. J'ai besoin de rapidement trouver quelque chose à quoi m'accrocher. Ma vitesse est plus lente qu'avant le passage au semi-marathon mais étonnement, je reste constante. Je lutte comme jamais. Flancher à seulement 5 maudits kilomètres de l'arrivée n'est pas envisageable. Je le refuse catégoriquement. 

J'inspire, j'expire et dans mon esprit je pense 5.

J'inspire, j'expire et je pense 5.

J'inspire, j'expire et je me répète 5.

Le peu de forces qu'il me reste se concentrent sur cette litanie monotone.

Soudain, j'inspire, j'expire et je pense 4.

Mon cerveau s'est bloqué et fonctionne en mode de survie. Je suis incapable de réfléchir, de me projeter sur l'arrivée, d'imaginer quoi que ce soit. A cet instant, tout ce qui compte c'est d'oxygéner mes pensées pour arriver à me répéter qu'il ne reste que 4 kilomètres. Tenir, lutter, résister, ne pas abandonner, les jambes l'ont compris, c'est ma tête qui divague. Je cours de plus en plus lentement, à peine 07:45 au kilomètre. 

Le 39ème kilomètre est palpable, c'est le dernier poste de ravitaillement. Je marche à nouveau durant 20 à 30 secondes en avalant mon dernier gel et je repars courir vers la délivrance. Cette fois, je le sais. La ligne d'arrivée est pour moi, elle m'attend et je vais courir pour le bonheur de la franchir ! La foule s'agrandit et s'agite, l'ambiance se modifie à chaque mètre gagné. Un parfum d'excitation embaume l'air et me sort de ma torpeur. Autour de moi, un nombre impressionnant de participants marchent. Cela me donne des ailes ! Un second souffle m'anime. Rien n'est impossible ! Je suis presque bien. J'y crois !

41ème kilomètre et j'accélère le rythme. C'est complètement fou. Je peux le faire, je veux le faire. 

42ème kilomètre, je m'enflamme et des ailes de joie m'emportent. Mes foulées savourent cette liberté. Brisée mais légère, épuisée mais heureuse, survivante mais plus VIVANTE que jamais ! Je cours, je vole, j'accélère encore jusqu'à m'offrir un temps de 06:27 au kilomètre !!! C'est aussi rapide que sur la ligne de départ ! Plus rien ne pourra m'arrêter. Préparez ma médaille, j'arrive ! 

Denis est là ! Il n'en revient pas de me voir avec un tel chrono. Courir un marathon en 5 heures était un objectif théorique. Il court à mes côtés pour m'encourager. Sa voix est émue et si fière que j'accélère encore pour m'engager dans l'allée de la victoire. L'arche bleue est là, elle me donne le vertige et une dernière vague de frissons me submerge. Un dernier sprint final pour atteindre la liberté et... je suis Marathonienne ! 

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Mon chrono m'annonce 5 heures et 4 minutes, un résultat qui me ravit. Oser un marathon c'est fou. Courir durant autant d'heures c'est dingue mais réussir à frôler mon objectif, c'est un capital de bonheur indescriptible ! Plus jamais je ne serai la même personne, ce marathon m'a transformée. J'ai tant appris sur moi-même. Je m'avance en boitillant devant une bénévole qui s'apprête à déposer une médaille autour de mon cou. C'est mon plus bel anniversaire.

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Je retrouve mon Denis qui a terminé sa course en 3h45 et Patrick qui a décroché son premier marathon en 5 heures malgré un genou douloureux. Nos visages sont rayonnants ! Les mots peinent à venir pour décrire tout ce qui s'est vécu. Les pensées sont euphoriques mais encore anesthésiées. Cet étrange cocktail nous demandera quelques minutes pour remettre nos idées en place et enfin nous raconter notre aventure : 42,195 km au bout des pattes !

Nous sommes rentrés à Genève avec une belle médaille dans la valise et des étoiles de bonheur dans les yeux !

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Je tiens encore à féliciter Roxane qui a couru son premier semi-marathon à Edimbourg avec son papa ! Cette aventure sportive riche en amitié restera un magnifique souvenir pour tous. D'ailleurs... l'histoire n'est pas terminée. Mon petit doigt me dit qu'il y aura de nouveaux chapitres à rédiger avec des rêves et des baskets aux pieds !

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Commentaires
W
Ou avez-vous trouvé le tshirt avec croix suisse?<br /> <br /> Merci
M
Bonsoir Claude,<br /> <br /> <br /> <br /> Je suis heureuse de t'ouvrir une page sur nos souvenirs communs ! Eh oui... nous l'avons fait ! Que le temps passe vite, là j'essaie de me préparer pour mon 2ème marathon, qui aura lieu fin octobre.<br /> <br /> <br /> <br /> Et toi ? Des projets ?<br /> <br /> <br /> <br /> N'hésite pas à insérer ton adresse mail dans la petite case NEWSLETTER et ainsi tu seras informé des prochaines publications sur mon blog.<br /> <br /> <br /> <br /> Au plaisir de te lire,<br /> <br /> Miss Evidence
C
Suis tombé par hasard sur ce superbe récit.<br /> <br /> J'étais également à "EMF", on revit tout le parcours, les mêmes sensations, les joies, les souffrances et la délivrance de l'arrivée.<br /> <br /> Félicitations, il y en aura d'autres et faites nous d'aussi beaux récits.<br /> <br /> Claude
N
Et chui pas peu fière que mes conseils t'aient aidée !!
M
T'as vu ça ! Je n'ai pas marché mais alors... c'est fou comme j'ai pensé à toi ! Je me répétais inlassablement tes bons conseils.<br /> <br /> <br /> <br /> Le prochain.... euh.... il va venir !!!!! C'est certain !<br /> <br /> <br /> <br /> Bisous ma belle Nathalie !
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